La petite gare
Dehors, à travers la fenêtre, les paysages défilent, projetant un film documentaire aux mille personnages anonymes. Ce sont les figurants malgré eux d’une brève histoire, celle qu’on oublie aussitôt, et qui n’existe que pour celui qui veut bien la voir.
Bien calé sur mon siège, laissant le train dicter le rythme, j’essaye d’imaginer leurs vies. Qui peut bien habiter dans cette modeste maison, en bordure des champs ? Et ce couple là-bas, promenant un chien, quelles sont leurs joies, leurs tristesses, leurs rêves et leurs échecs ? Ils existent pour moi, puisque je les regarde, et d’une certaine manière je me sens brièvement complice de leur existence, alors même qu’eux ignorent tout de la mienne.
Et déjà les voilà qui disparaissent, laissant place à la forêt déserte, où brusquement point un chemin. Peut-être un jour mes pas me mèneront ici, et alors une autre perspective fera de moi l’acteur du film, de ce très court métrage sans scénario, mais aux multiples scénaristes.
Puis le train s’arrête dans cette petite gare sans nom. Quelques maisons, un étroit quai désert, et des champs à perte de vue. Ce décor, mystérieux pour moi qui vient de loin, touchant par sa banalité, représente pourtant pour la poignée d’habitants de ce village le centre de leur réalité. Pour eux, ni mystère, ni magie, simplement le décor concret de leur quotidien.
La petite gare déjà s’éloigne, me laissant dans une étrange mélancolie, comme un regret de ne pas mieux cerner mon propre décor. Ou alors seraient-ce mes racines qui s’estompent ?
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« Péniche passe. Sur l’eau noire de la Seine et de la nuit. Troublant l’eau lourdement derrière elle. Et son sillage se referme. Et sans laisser de traces. Hormis l’évidence, pour ceux qui l’ont vue, qu’une péniche a passé. » Grégoire Polet, « Leurs vies éclatantes »
Posté le 03/12/2016 12:48 par un homme, 43 ans, Belgique/La Hulpe | 3 commentaires
Tu m'as embarquée dans ta très "courte nouvelle"...Joli récit! Bravo!